Je publie avec l'accord de mon fils Vivien, les lettres journalières que je lui ai adressées. Cela est probablement une forme d’exhibitionnisme, mais aussi un partage thérapeutique.

dimanche 12 juin 2016

Lundi 23 février 2015





Hier, je n’ai pas pris mes petites pilules pour dormir. J’ai dormi d’un sommeil plus réfléchi sans coefficient de réfraction. Les rêves étaient plus matérialistes. Terminé les hippopotames en tutu, les éléphants bleus fumeurs de baobab, les déesses séniles qui hantaient mes nuits, les léopards en string humain, les intégristes de la paix, les pourfendeurs de buches, les baromètres fluorescents, les cornacs dans le coma, les montées de libido face à un silex biface, les bols de café où le contenu devennait le contenant…lorsque je me réveille la nuit, les pensées sont plus claires et plus réalistes. Si je supporte le réel, c’est que le réel est supportable, si le réel est maintenant supportable c’est parce que mon grand fiston va mieux.
Je n’écris pas qu’il est sorti d’affaire, je ne désire pas attirer l’attention  des sorcières maléfiques qui l’ont endormi.
Hier, Vivien m’a rembarré. N’est-ce pas un signe positif ? Monsieur refusait de mettre sa capuche, alors que son corps frêle avait oublié les caresses de la bise de Normandie. Il a fait sa première sortie à l’extérieur, moitié siège à roues, moitié chaussures.
Vivien attend une place en centre de rééducation fonctionnelle. Pour l’instant il profite de la vie. Entre les petits plats préparés avec amour par sa mère, les visites de ses potes, la lecture des bandes dessinées, la visite de la famille, les câlins de sa maman chérie il n’a pas le temps de s’ennuyer.
 Tous les jours sous l’impulsion des injections d’anti coagulants, il fait une promenade sur ses deux jambes. La motivation première pour l’acquisition de la marche n’est pas l’autonomie comme chez le commun des mortels, mais la peur des piqures. Chacun sa motivation, et seul le résultat compte.
Qu’il marche sans appui est un exploit, car ses jambes sont aussi grosses que deux baguettes chinoises. Il y a une semaine, il tenait tous juste debout avec l’aide d’une tierce personne qui n’était pas la troisième car il n’était que deux. De plus comble de l’absurdité elle n’était pas chinoise. Comment a-t-elle su manier deux baguettes ?
Les sens fonctionnent, même l’ouïe. Pourtant nous avions été préparés à une surdité de l’oreille gauche. Une fracture du rocher entraine une surdité. Et bien non, il entend parfaitement quand je susurre à son oreille : petit con. Je n’écrirai pas la réponse de peur de choquer des parents bien-pensants.
Voilà les nombreuses raisons qui ont provoqué la fuite des petites pilules que j’affectionnais tant. Pour compenser leur absence, je picole un peu plus et roule un petit pétard du soir. Terminé les rêves studieux. Maintenant je rêve de nuages roses, de fées nues, de lignes de coke interminable, de farandoles de petits chevaux à base de bisphénol, de tours Eiffel plantées, du bouc de monsieur Seguin, et de massacre à la tronçonneuse sur tous les conifères qui  squattent nos montagnes.
Je suis contre l’éradication des arbres, mais je suis partisan des montagnes chauves. Je suis écologiste mais pas con.





Cette navigation est symbolique. La dernière navigation était le jour de l’accident de Vivien. Cinq mois plus tard, le premier mai, Ninon, Vivien et moi fîmes le voyage du retour. Nous passâmes devant les mêmes falaises sur lesquelles une partie de mon Moi restera à jamais figé. Ce fut un moment intense.
 

samedi 11 juin 2016

Dimanche 22 février 2015





Antonin toujours aussi matinal a atterri dans notre lit à 5h45. Entre mes absences due à ma formation et celles résultante du coma de Vivien, Antonin a eu le temps d’acquérir des habitudes qui ne cadrent pas avec les miennes.
Donc ce matin, à l’heure où je décidai de descendre afin de pouvoir écrire quelques lignes, Antonin débarqua dans la chambre. Malheureusement pour lui le P.A.I (papa anti invasion) était en alerte maximum. Antonin fut cueilli à l’entrée de la chambre et reconduit manu militari à son lit. Évidemment il accepta difficilement la reconduite à la frontière et immigra clandestinement une nouvelle fois. La reconduite fut systématique. Il resta dans son lit en réprimant difficilement son sentiment d’injustice. Cependant, obéissant il réussit à limité les décibels de son expression oral. Puis vaincu par son insistance à refuser de dormir je me levai et  lui offris un droit d’asile dans le salon.
Je crus que ma page d’écriture était morte née. C’était sans compter sur la force de persuasion de Dora l’exploratrice. Elle captiva mon fils et mon clavier m’accueillit à écran allumé.

Vivien marche, s’exprime de mieux en mieux. Il est capable de trotter sur une centaine de mètres avec assistance et une dizaine sans assistance. Il a pris sa première douche hier. Il a accès aux toilettes avec aide. Il se brosse les dents dans la salle de bain. Bref, il acquière petit à petit une autonomie. Ses progrès sont étonnants et fulgurants. Nous n’en revenons pas. La lecture ne lui pose aucun problème. Il a réussi sous la dictée de sa sœur à écrire un petit mot d’amour à sa mère.


Samedi 21 février 2015




Hier, j’ai interrompu la correspondance que j’avais avec Vivien. J’ai considéré qu’il était en état de lire et de comprendre toutes les âneries qui y sont écrites. J’ai imprimé le texte et le lui ai donné. C’est un énorme soulagement. D’un pronostic vital fortement engagé où sa vie se délitait, il s’est reconstruit en gardant sa personnalité. J’espère que son mental tiendra le coup. Car même s’il a récupéré en partie son potentiel, j’ignore si l’invisible est intact. Je reprends l’écriture, juste histoire de ne pas perdre la main et surtout de m’exhiber.

    Vivien est arrivé en chambre « normal » d’hôpital. Il est en attente d’une place en centre de rééducation fonctionnel. Aucun fil ne le lie à une machine. Tous les tuyaux, toutes les perfusions ont été retirés. Il est libre. Il a retrouvé sa liberté d’avant le 31 décembre (semi-liberté, il est encore alité).
Vivien marche avec appuie, Vivien parle, Vivien écrit, Vivien entend… Le bras gauche ne joue pas le jeu, il fainéante. Il a des circonstances atténuantes. Il a subi quelques fractures, dont certaines n’avaient pas été détectées aux premiers examens. A l’époque, l’urgence n’était pas là, elle était sise un peu plus haut, dans les centres de commandement. Les os cassés, indifférents à l’environnement insécurisé, se sont ressoudés sans tenir compte des normes actuelles en vigueur sur la reconstitution du poignet. Tant que les normes ne seront pas respectées, le poignet et la main refuseront de fonctionner. Le refus est très mal vécu par la direction qui, aidée d’un kiné, tente de contourner le blocus.
Hier, la chambre fut envahie par de nombreuses personnes aimantes, aimantée par son charisme. La fratrie était au complet. Antonin, impressionné  par le milieu hospitalier, s’acclimata et osa s’approcher afin de déposer quelques bisous. Louise resta scotchée contre Vivien toute l’après-midi, place âprement disputée avec la mère de Vivien qui accepte difficilement de lâcher la main de son fils.
  Anneso pleurait de bonheur. C’était la première fois qu’elle le voyait depuis son accident. Elle avait vécu par procuration l’évolution du coma de Vivien et sa guérison chaotique.  Une procuration en pointillé, car j’aurais omis de lui narrer (pour un narrateur, c’est un comble) de nombreux faits marquants. Heureusement que certains contacts téléphoniques issus d’autre horizon lui ont permis d’avoir une idée plus pointue de l’évolution de mon fils.
Le soir Vivien était heureux et épuisé par une telle journée.
Il apprécie la présence des gens. Il savoure pour l’instant la vie et essaye de la croquer à pleines dents sans avaler de travers. J’ai toujours l’appréhension que Vivien tombe sur la tête. Tant qu’il sera sous anticoagulant, je ne serai pas rassuré. Hier en partant, j’ai relevé les barrières de son lit. Je l’avais même ligoté, mais les infirmières ont considéré l’acte préventif comme de la maltraitance et l’ont détaché.





dimanche 5 juin 2016

Quarante-quatrième lettre


jeudi 19 février 2015

Tu as enfin revu Louise. Louise t’a enfin revu. Vous vous êtes revus. Je ne sais pas qui a vu l’autre le premier, ou quel est le premier qui a vu l’autre et peu importe. Tout ce que je sais vous le savez, et vous savez que je le sais. Donc je n’ai pas besoin de l’écrire, car tu liras un fait que tu connais déjà. Le médecin m’a conseillé de ne pas encombré ton cerveau convalescent. Cependant par charité chrétienne, je vais me faire un plaisir de te narrer sans aucun détail votre rencontre.
Vous étiez heureux comme deux personnes qui sont heureuses de se retrouver. Et pas n’importe quelle personne : Un frère et une sœur séparée par un choc terrible. Un frère qui a failli ne plus revoir sa sœur. Une sœur qui n’aurait pu revoir que le corps inanimé de son frère. Vous le saviez tous les deux. Votre rencontre a été un bonheur.
Sur le chemin du retour, Louise pleurait à chaudes larmes. Tu lui manquais déjà. Elle disait :
- Papa je ne pleure pas parce que je suis triste, je pleure parce je suis heureuse.
Elle est pressée de te revoir.
Terminé pour aujourd’hui. J’ai la table à débarrasser. Je suis malade comme un canidé. J’ai rendez-vous chez le médecin et ensuite je viens te voir.
Bisous



                           
Le bel au bois dormant
                 Fin (j’espère)