Je publie avec l'accord de mon fils Vivien, les lettres journalières que je lui ai adressées. Cela est probablement une forme d’exhibitionnisme, mais aussi un partage thérapeutique.

mardi 26 avril 2016

Cinquième lettre



Bonjour Vivien,
Ecrire bonjour est pour nous de l’espérance. Tu es toujours présent parmi nous. Et cela nous fait tenir. Nous nous accrochons à une paroi qui déchire nos mains, mais nous ne lâchons pas prise. Pourtant nous prenons des coups dans la gueule. Je reconnais qu’ils sont sans conséquence par rapport à ce que tu as pris.
Hier, ton certificat médical décrivant tes lésions s’est gravé dans nos rétines. Notre moral s’est fracturé comme ta boite crânienne. Ta mère et moi, un court instant, sommes devenus deux loques décérébrées, puis tant bien que mal nous avons trainé notre carcasse vers un hôtel aussi vivant que ton coma.
La vue était l’hôpital qui t’héberge, le son était les sirènes des ambulances et le vrombissement des turbines d’hélicoptères. Nous t’avons vu dans un brancard en descendre. Du coup ce matin, nous sommes dans de nouvelles chambres, avec une baignoire afin que ta mère puisse se réparer dans un bain bien chaud, avec vue sur mur. Elle correspond à la vision que nous nous faisons de notre avenir.  Oui, nous sommes un peu détruits.
Ok, par rapport à toi nous sommes en pleine forme et nous ne devrions pas nous plaindre. Mais que veux-tu, nous sommes reliés à toi et notre moral suit les variations de ton PIC.
Sinon, tout va bien. Des terroristes s’adonnent au tir à la mitraillette et tirent sur tout ce qui bouge. Pour l’instant tu es tranquille ; tu ne bouges même pas une oreille.
Nous avons longuement discuté de toi avec ta mère et nous sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait te serrer la vis. Donc dès que tu te réveilles, tu t’en prends deux, une de ta mère, une de ton père. Ta sœur Ninon réclame sa part. Tu as gagné trois claques.
Antonin s’est endormi hier soir, puis en se réveillant il a dit :
Didget dot. Didget est tiste. Traduction : Vivien dort, Vivien est triste. Il semblerait qu’il ait fait semblant de dormir pendant une heure.

« Ta mère, elle choure ton polaire, ton manteau et bientôt ton téléphone et ta taie d’oreiller et ta sœur t’a chouré ton sweat !! Toi qui es connu pour te fringuer comme un as de pique, elles sont fringuées comme un as de pique » : ta maman.
Aujourd’hui une petite, toute petite nouvelle, ton PIC a baissé.  Du coup nous sommes allés sur la Canebière.
 « La foule défilait pour la liberté, cela a filé des frissons à ta mère, car la France est le pays des droits de l’homme » dixit your mother.
Ce qui ne nous a pas empêchés de nous carapater et de nous enfermer dans un café en pensant à toi. Nous ne sommes pas agoraphobes, mais un rassemblement de plus de deux personnes nous angoisse fortement.
Nous devions rentrer à l’hôtel directement mais le bus en a décidé autrement, il nous a déposés devant ta résidence provisoire. Nous avons eu, ainsi le plaisir de découvrir ton regard profond. Un interne examinait tes yeux. Ensuite tu avais des larmes qui coulaient. A l’instant, je me demande si tu pleurais parce que tu sentais notre présence, et que tu savais que nous allions repartir sans prendre le temps de t’accompagner. Je sais mon fils, mais les médecins nous déconseillent de te solliciter. Ta mère crève d’envie de te prendre dans ses bras et de te serrer très fort. Elle préfère mettre toutes les chances du bon côté de la balance : « celui de la vie et de l’amour donné et partagé ».
  

Bisous.



Ps : A l’époque lorsque nous avons pris connaissance du rapport initial, nous avons réalisé l’importance des blessures qu’avait subi notre fils : multiples fractures ainsi que de nombreux hématomes dans la boite crânienne. Nous avons réalisé ce qu’avait enduré notre fils ; il était encore conscient aux urgences de Gap, deux heures après son accident. Ce qui sur le moment, lors du coup de fil reçu pendant ma navigation, ne m’avait pas permis de comprendre la gravité extrême de l’accident de Vivien.
 Ce fameux vendredi, la seule certitude des  médecins étaient que si notre fils vivait, il serait sourd de l’oreille gauche.  Il entend parfaitement de cette oreille. Il n’y a aucune connotation critique vis-à-vis du corps médical. Je pense tout simplement que la médecine est, vis-à-vis du cerveau et de ses périphériques, balbutiante. Et pourtant, les connaissances ont été suffisantes pour maintenir notre fils en vie. En « réa », ils sont doués pour maintenir les corps en vie. Vous leur amenez un blanc de poulet, il vous le ranime. Par contre un cerveau défectueux restera défectueux.

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