Je publie avec l'accord de mon fils Vivien, les lettres journalières que je lui ai adressées. Cela est probablement une forme d’exhibitionnisme, mais aussi un partage thérapeutique.

dimanche 24 avril 2016

Deuxième lettre



Mercredi 07/01/2015

Exact, j’ai écrit une date. J’ai besoin de me situer afin d’ordonner mon esprit qui subit les distorsions du temps. En plus nous n’avons pas, toi et moi, la même échelle temps. Je dirais même plus, je ne suis pas certain que le temps existe pour toi. Par contre pour nous, il s’étire, s’étire. Les minutes deviennent des heures, les jours des mois…puis par une cabriole dont seul le temps est capable et il se rétracte et les heures deviennent des minutes. Seules les heures rétrécissent, les jours sont toujours aussi longs et lourds.
Il y une semaine j’apprenais la nouvelle de ton accident. J’allais écrire de ton décès. J’étais sur Avel Vat. Je le convoyais du Havre à Fécamp. Le soleil était là, le vent était là, les falaises étaient là et Avel vat s’éclatait comme un malade : nous étions au portant. Juste après Etretat, le téléphone a sonné. J’ai décroché et la vie s’est arrêtée. Que ma vie, Avel Vat continuait d’avancer surement dans le but de me ramener afin que je m’occupe de toi.
Tu connais mon altruisme. Je n’ai pas pu garder la nouvelle trente secondes. Je l’ai aussitôt partagé avec ta mère dont la vie s’est arrêtée. Rassure-toi, nous sommes toujours présents. Ninon, Louise, Antonin nous ordonnent de rester droit dans nos baskets et d’assurer le quotidien. Juste entre nous, tu ne le répètes pas, dès qu’ils ne nous regardent plus, nous marchons de travers.
J’en reviens à nos moutons qu’Avel Vat fendait de sa proue. J’ai appris la nouvelle lorsque je naviguais. Cela faisait aux moins plus de deux ans que je n’avais pas couvert une telle distance. Cela faisait six mois que tu me tannais pour qu’on reparte ensemble tous les deux. Et depuis notre voyage au Portugal qui initialement était les Antilles, tu me serinais que pour atteindre un point en voilier, je devais viser beaucoup plus loin
- Ne trouves-tu pas incroyable que ton accident survienne à ce moment ? Comme tu l’avais prévu je ne suis pas arrivé à Fécamp. Non ! Seul, une partie de mon Moi y est arrivée. L’autre restera à jamais figé devant les falaises d’Etretat.
Cinq minutes après cette photo, le téléphone sonnait
Lundi dernier j’ai récupéré ta sœur qui étouffait dans la salle de cours. Je l’ai ramenée à sa mère et je suis parti en formation. J’y suis resté deux heures, ensuite je me suis réfugié chez Jean auprès de ta mère et de Ninon.
Antonin a expliqué à la nounou que tu étais malade et que tu dormais pour guérir. Ceci est une traduction approximative de son langage. Il a traduit ce que j’avais expliqué à Louise : tu avais eu un accident et que tu dormais pour guérir.
Le hic, nous le taisons aux enfants, est que si tu guéris, de quel façon guériras-tu ? Comme je l’ai écrit précédemment, le fait que tu lises ce texte nous conviendra peut-être. Mais est-ce que toi, cela te conviendra ? Là est la question.
Voilà la vie suit son cour. Je n’ai qu’une envie, c’est d’être près de toi. Mais tes sœurs et ton frère ont besoin de leur père et Ninon de sa maman. Et oui mon fils, vous n’avez pas la même mère.
J’ai envie de raconter des inepties, mais l’envie disparaît dès que j’approche les doigts du clavier. Tant que le clavier ne se barre pas, nous pouvons constater que tout va bien. Comprendras-tu, aimeras-tu toujours mes délires verbaux semblables à la bave du crapaud qui tente désespérément de toucher la blanche colombe ? Ne les considéreras-tu pas comme une attaque personnelle contre tes séquelles si tu en as. Je me pose des millions de questions et mes vielles mains arthritiques n’ont pas la vivacité et la virtuosité d’une secrétaire de direction trilingue pour les retranscrire. J’aurais préféré écrire pianiste, cela aurait été plus classe, mais je ne suis pas certain qu’un pianiste prenne du plaisir à jouer sur un clavier Azerty, dont le son est aussi pur qu’un pet de chasse d’eau.

Bisous

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