samedi 14 février 2015
Dans cinq mois tu
auras 17 ans.
Comme un con j’ai mis
la machine à laver le linge en fonction, une machine innovante! Plus le linge est sale, plus elle émet des ondes
sonores afin d’extraire la saleté des moindres recoins. Je vais avoir les
oreilles très propres.
Si le bruit est
efficace pour la saleté, il est moins pour l’écriture. La preuve, sur quatre
lignes je n’ai rédigé que sur le lave-linge et sa voix éraillée.
L’évènement tant
attendu par ma paresse arrive. Tu sais lire ! Il t’aura fallu dix-sept ans
pour apprendre, mais tu sais lire. Hier tu as lu à ta mère quelques lignes à
haute et intelligible voix. J’ai toujours dit que je cesserai d’écrire lorsque
tu seras capable de lire sans fatigue plusieurs pages, et surtout de
t’ingurgiter L’Etre et le Néant d’une traite. Ce jour-là je stopperai le lourd
labeur quotidien : aligner sur l’écran des idées dissolues.
Tu lis, tu pleures, tu
réfléchis, tu taquines, tu fais plein de
bisous, tu exprimes ton bonheur, tu exprimes ton mal être, tu serres la main de
ta maman chérie, tu exprimes ton mal au cul, tu commentes les émissions de
télé, tu as découvert que tu avais des fils sur la tête, tu pleures quand tu
nous vois arriver, tu nous salues de la main lors de notre départ, tu acceptes
ton état sans broncher, tu rêves de ta maman, tu souris d’entendre le nom de
tes amis, tu m’obliges à masser tes pieds, tu adores nous tenir la main, tu
parles, tu bouges tes jambes et le bras droits avec aisance, tu commences à
remuer ton bras gauche, tu reconnais la voix d’Antonin et de Louise, tu ris de
nos blagues, tu fais des blagues, tu fais de gros câlins à ta mère, tu refuses
pendant notre visite qu’elle s’en aille, tu fais des doigts d’honneur à ton
père, tu dors, tu réclames tes lunettes, tu désires te promener dans un jardin,
tu es patient, tu salues de la main tes correspondants téléphonique, tu lèves
les jambes, tu baisses les jambes, tu saisis un mouchoir, tu t’essuies la
bouche, tu tournes la tête, tu es sage, tu joues, tu as le sens de l’humour, tu
cogites, tu veux sortir, tu es pressé de revenir en Normandie, tu es impatient
de retrouver les êtres aimés…en bref, tu vis.
Tu as changé de
service. Tu as quitté la réanimation, tu as intégré les soins intensifs. Nous
croisons les doigts afin qu’un évènement indésirable t’évite.
Ninon et Gwendal
débarquent à Marseille. D’un train, le verbe « détrainent » serait
plus adapté. Hugo et ses parents arrivent. Tu vas passer une journée intense en
émotion et surement très fatigante. J’espère que tu seras au mieux de ta forme
pour profiter au maximum de ces instants.
Que puis-je écrire
d’autre ? Nos visites quotidiennes nous permettent d’échanger. Pour
l’instant nos échanges sont partiellement à sens unique. J’en profite pour
t’asséner mes vérités. Je sais que cela ne durera pas. Bientôt mes concepts
seront contrés par ton sens de la repartie. Tant mieux.
Bisous.