Je publie avec l'accord de mon fils Vivien, les lettres journalières que je lui ai adressées. Cela est probablement une forme d’exhibitionnisme, mais aussi un partage thérapeutique.

jeudi 2 juin 2016

Quarante et unième lettre



lundi 16 février 2015

Tous les soirs, lorsque nous te laissons seul dans ta chambre, l’angoisse qui hante ton visage nous éclabousse. Nous repartons le cœur lourd de t’abandonner. Nous savons que la nuit tu te réveilles angoissé et complètement paumé. Ton coma et tes nombreuses anesthésies t’interdisent d’analyser la situation comme nous autres qui dormons dans un lieu choisi.

Tous les soirs, lorsque nous te laissons seul dans ta chambre, tu t’inquiètes que nous ne revenions pas le lendemain. Pourtant, nous te rassurons sur notre présence  quotidienne, mais tu paniques. Tu as peur. Il y a une semaine que tu as pris conscience du monde qui t’entoure. Et quel monde ! Un monde hospitalier inhospitalier. Un monde fait de tuyaux, d’écrans, d’alarmes, de perfusion, de personnel soignant qui change quotidiennement… alors que le dernier souvenir que tu as, est probablement un Vivien en bonne santé. Comment ne pas être envahi par un sentiment d’abandon ?
Hier, tu étais abattu. En plus tes veines allergiques aux aiguilles se carapatent lorsqu’elles les voient arriver. Pendant ce temps tu souffres le martyr, car l’aiguille farfouille partout sous ta peau afin d’attraper une veine et de la transpercer de sa haine. Malheureusement l’infirmier ne réalise pas qu’un règlement de compte se déroule à quelques millimètres de ses doigts. Au lieu d’appeler à la rescousse un personnel compétent, il insiste lourdement. L’insistance ne sert que ta souffrance.
Puis une deuxième infirmière tente de régler le conflit entre l’aiguille et les veines. Que nenni. Tu souffres une deuxième fois.
Par contre, tu as résisté stoïquement deux longues fois à la souffrance.
Epuisé par la souffrance, tu t’effondres dans nos bras. Ce qui n’est pas une mince affaire. Ta mère et moi avons pris des cours de contorsion afin de nous coller à toi. Quand tu n’as pas le moral, tu recherches un contact physique. Et nous arrivons tant bien que mal à épouser les formes de ton corps, sans t’écraser, sans arracher la perfusion, sans tordre ton bras cassé, sans arracher ta sonde urinaire et sans nous casser la gueule de la chaise ou du lit. Lors de notre retour au bercail, nous nous manipulons mutuellement afin de remettre tous les morceaux de notre corps et de notre mental en place.
J’espère qu’il n’y aura pas de problème pour toi. Car n’ayant pas de perfusion, il sera beaucoup plus difficile de te soigner dans l’urgence.

Tous les soirs lorsque nous te laissons seul dans ta chambre, nous avons peur de ne pas t’y retrouver le lendemain.
Tous les soirs lorsque nous te laissons seul dans ta chambre, nous craignons qu’un nouvel hématome envahisse encore une fois ta boite crânienne.
Tous les soirs lorsque nous te laissons seul dans ta chambre, nous attendons avec impatience le lendemain afin de te retrouver.
 Nous sommes le lendemain

Bisous.

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