Je publie avec l'accord de mon fils Vivien, les lettres journalières que je lui ai adressées. Cela est probablement une forme d’exhibitionnisme, mais aussi un partage thérapeutique.

mercredi 1 juin 2016

Quarantième lettre



dimanche 15 février 2015

Que de monde hier après-midi. Il y avait un air de fête. Ninon, Gwendal, Hugo, les parents d’Hugo et les piliers antiques de ta vie, ta mère et ton père, ont défilé dans ta chambre. Seul Hugo est resté aux pieds de ton lit, te tenant la main sans interruption. Quelle est belle cette amitié qui vous cimente.
Ta mère et moi stressons un peu. Bien que l’expérience nous prouve que les choses de la vie ne se reproduisent jamais à l’identique, nous avons peur que tu rechutes, dans les deux sens du terme. La dernière fois que tu es parti en salle d’opération, c’était le soir après la visite d’Hugo.
Il est 7h23 et le téléphone est resté muet toute la nuit. Un petit espoir supplémentaire nous permettra de passer une matinée un peu moins lourdement. Nous ne serons rassurés que lorsque nous te verrons.
Rappelle-moi de ne pas oublier tes lunettes. Anneso te les a envoyées et nous les avons reçues avant-hier. Hier j’ai bogué et les ai abandonnées, esseulées sur la table de la cuisine. Qu’elles ne se plaignent pas, elles sont toujours accompagnées. Une paire de lunettes signifie qu’il y a deux lunettes, et qu’elles se tiennent compagnie. Entre nous, il y en a deux mais je ne vois qu’un seul objet. Ça c’est de la physique quantique : un plus un égale un. Ou un des nombreux mystères de la langue française qui n’a pas réussi à s’adapter à l’évolution rapide.  Les historiens spécialisés en histoire rétorqueront qu’au départ, du temps de l’homme qui ne conduisait pas, les lunettes étaient une. Ainsi nous pouvions dire :
- Attention ! Ne perds pas ta lunette.
 Elle était monoculaire.  Cela était un monocle. Sur les navires il y avait les longues vues, lorsqu’elles se sont dédoublées, elles se sont nommées : une paire de longues vues. Ma sœur jumelle qui est aussi historienne de souche binoculaire me soutient que cela s’appelle des jumelles, ou une paire de jumelles. Personnellement j’y perds mon latin. Je reconnais que l’on dit fréquemment : ne me casse pas les couilles. Mais depuis la nuit des temps et du sacrosaint cinq à sept, elles ont toujours été par deux, même avant l’invention de la voiture et de la tablette.
Un dromadaire a une bosse. Lorsqu’on se trouve par hasard sur le même engin avec deux places, le terme paire de dromadaires n’est jamais usité. Le langage qui a transformé en paire de jumelles la multiplication par deux de la longue vue, a exercé la même tyrannie linguistique aux quadrupèdes bosselés. Une bosse = dromadaire,  deux bosses = une paires de chameaux
Lors d’un échange commercial cette hypothèse crée des malentendus.
- Une paire de chameaux à échanger contre une paire de dromadaire.
- Mais il n’y a qu’un chameau.
- Pardon monsieur, le terme un chameau est une faute de français, vous devez dire une paire de chameaux. Alors les prendrez-vous ?
Lorsque l’on sait que les Sunnites utilisaient les dromadaires et les chiites les chameaux, on comprend mieux le bordel qu’il y a maintenant en extrême orient.
Autre exemple de la complexité du langage : les motos sont considérées comme biplace. Demande aux passagères aimantes si c’est toujours le cas.

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